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L’Arménie et l’Artsakh au défi de la menace turque et de l’autoritarisme russe

Depuis 2020, la situation de l’Arménie dans le sud-Caucase a radicalement changé. Renversement des alliances de son ancien allié russe, reprise des conflits au Karabagh. Malgré cela, le pays arrive à maintenir sa stabilité politique.

MONASTÈRE DE HAGHPAT, ARMÉNIE

Depuis deux ans, la situation géopolitique du Sud-Caucase a radicalement changé en défaveur des Arméniens. Sans exagération, on peut dire que cette situation est même devenue critique pour les deux entités politiques qui les représentent, la République d’Arménie bien sûr, mais aussi la République autodéterminée du Haut-Karabagh que les Arméniens préfèrent désigner sous son nom autochtone : la République d’Artsakh.

Luttes politiques en Arménie

Le point de bascule peut être assez précisément daté de la fin mai 2018 : de mars à mai 2018, Nikol Pachinian, une figure jusqu’alors secondaire de l’opposition arménienne, a entrepris plusieurs marches de protestation qui – parties de villes et de zones rurales – ont abouti à de grandes manifestations dans la capitale Erevan. Les revendications de « Mon Pas », le parti politique alors nouvellement créé par Pachinian, tournaient autour de questions d’écologie et surtout autour de la démocratisation de la vie publique. L’Arménie était dominée depuis vingt ans par le Parti Républicain, accusé par Pachinian et ses soutiens de corruption, de népotisme et d’autoritarisme. Quel qu’ait pu être le bien-fondé de ces critiques – et elles l’étaient au moins partiellement – le conflit politique prenait surtout sa source dans une opposition de style et de génération entre les dirigeants arméniens d’alors et leur challenger


Les premiers – le Président Serge Sarkissian, son prédécesseur Robert Kotcharian par exemple – tiraient leur légitimité de leur statut de vainqueurs de la guerre du Karabagh qui s’étaient déroulée entre 1991 et 1994 ainsi que de leur proximité avec Moscou pour lequel l’Arménie constituait le dernier point de soutien régional. Pachinian pour sa part militait pour une société plus ouverte, plus libre, plus démocratique. Même si Pachinian s’était bien gardé de critiquer explicitement la Russie et même s’il avait explicitement indiqué qu’il ne changerait pas d’alliance stratégique – l’Arménie est membre de l’Organisation du Traité de Sécurité Collective (OTSC) patronnée par Moscou et est par ailleurs engagée par un traité d’alliance stratégique avec la Russie – cette dernière ne pouvait voir qu’avec suspicion de telles revendications d’essence libérale.


La révolution de velours

Le 23 avril 2018 donc, face à la pression populaire, le Président Sarkissian a démissionné sans qu’un seul coup de fusil ne soit tiré. Ce coup d’État mou qualifié par ses partisans de « révolution de velours » fut suivi le 8 mai par l’élection formelle de Nikol Pachinian comme Premier ministre – une réforme constitutionnelle ayant eu lieu dans l’entre-deux – c’est-à-dire comme nouveau dirigeant effectif du pays.

Le renversement des Républicains, l’éviction de leur allié aux inclinations ploutocratiques suscitèrent un formidable espoir dans la société arménienne. Les mots « espoir », « bonheur », « joie » étaient alors sur toutes les lèvres.

De fait, un vent de liberté et de libéralisation a alors soufflé sur le pays, mettant notamment à mal la mainmise monopolistique qu’avaient certains entrepreneurs proches du pouvoir sur les importations et les exportations dans ce petit pays enclavé. En termes de respect des droits fondamentaux, l’Arménie qui était déjà mieux placée que ses voisins mise à part la Géorgie a alors aussi fait un bond dans les classements des organisations internationales. Un exemple : en 2018, l’Arménie était classée au 80e rang mondial par RSF, entre le Kosovo, la Sierra Leone et la Moldavie ; en 2022, elle est classée 51e non loin de la Croatie et devant l’Italie ou la Roumanie. En termes de libéralisme économique également, la très libérale Heritage Foundation qui classait déjà l’Arménie plus libre que la France ou l’Italie a noté une évolution positive du pays après l’instauration du nouveau pouvoir.


Un nouveau gouvernement qui déplait à Moscou

Ce tropisme croissant vers les standards occidentaux ne pouvait bien sûr que déplaire à Moscou. Même si la révolution de velours en Arménie n’a semble-t-il pas été inspirée ou suscitée par les services occidentaux, la politique de Pachinian et de ses jeunes ministres, tous formés dans des universités américaines ne pouvait que susciter la méfiance de Moscou.

Pour comble de malheur, le gouvernement Pachinian a dès le début commis des maladresses politiques lourdes de conséquences en se lançant, sous pression de l’opinion publique, dans une vendetta contre des personnes tenues pour responsables des violences qui avaient émaillé l’élection de Serge Sarkissian en 2008. Or les principales personnalités inquiétées, inculpées ou limogées, que ce soit Youri Khatchatourov alors Secrétaire général de l’Organisation du Traité de Sécurité Collective ou l’ancien président Robert Kotcharian, prédécesseur de Sarkissian, étaient précisément les hommes de confiance de Moscou en Arménie. Par ailleurs, dès son élection, Nikol Pachinian s’est rendu au Haut-Karabagh pour y affirmer publiquement que « le Karabagh, c’est l’Arménie », ce qu’aucun Arménien ne conteste, mais que les responsables précédents s’étaient prudemment abstenus de déclarer pour préserver un espace de négociation avec Bakou et pour éviter des provocations inutiles.

Il est probable que l’ensemble de ces facteurs a progressivement conduit la Russie à lâcher partiellement l’Arménie pour punir Pachinian. La victoire écrasante de ce dernier et l’éviction totale des Républicains aux législatives de décembre 2018, ses menaces de purge à l’encontre de l’appareil judiciaire du pays qui avait relaxé Kotcharian et l’arrestation de l’oligarque Gagik Tsaroukian en juin 2020 ont peut-être achevé de convaincre le Kremlin d’un retournement d’alliance au moins partiel. Du 16 au 18 juillet 2020, l’Azerbaïdjan, qui n’aurait sans doute jamais rien entrepris sans l’accord au moins tacite de Moscou, lance une attaque d’une ampleur inhabituelle sur le territoire arménien proprement dit, ce qui n’était pas arrivé depuis la guerre du Karabagh de 1991-1994. Cette attaque a été repoussée, mais il est maintenant clair qu’elle ne constituait qu’un test pour Bakou de ses nouveaux matériels et de sa nouvelle doctrine d’emploi face à une Arménie manifestement trop confiante, et dans l’alliance russe et dans ses capacités défensives.


La guerre des quarante-quatre jours

La véritable offensive de l’Azerbaïdjan a commencé le 27 septembre 2020. Elle s’est focalisée sur le territoire de la République autodéterminée d’Artsakh et en premier lieu sur la zone de sécurité que celle-ci contrôlait sur son pourtour. Il s’est agi d’une agression de grande ampleur, manifestement bien préparée et réalisée sous le contrôle opérationnel croissant d’un état-major turc. L’attaque a mobilisé plusieurs milliers de soldats azerbaïdjanais, mais aussi des supplétifs djihadistes syriens convoyés par la Turquie. L’Azerbaïdjan a aussi bénéficié d’une couverture aérienne assurée par des F16 turcs, mais aussi et surtout des fameux drones turcs Bayraktar face auxquels les unités arméniennes étaient largement sans défense et dont on voit encore l’efficacité en Ukraine. En dépit d’une résistance assez héroïque, les unités arméniennes – qu’elles soient d’Arménie ou du Karabagh – ont été rapidement submergées face à des troupes en surnombre et bien mieux équipées. L’opinion générale des soldats arméniens était qu’ils se battaient contre une armée de l’OTAN.

Durant les combats, les populations et les infrastructures civiles du Karabagh ont été durement touchées, souvent de manière délibérée. Les quelque 150 000 habitants de l’Artsakh ont très largement fui en Arménie voisine, ne laissant au plus fort du conflit que 30 000 habitants dans le pays. Diverses tentatives de médiations ont échoué jusqu’à ce que le 9 novembre 2020, un accord de cessez-le-feu sous médiation russe mette un terme à cette guerre des 44 jours. Entretemps, les Arméniens avaient perdu la zone de sécurité qu’ils contrôlaient au sud du territoire artsakhiote proprement dit – zone frontalière de l’Iran – mais aussi les districts artsakhiotes d’Hadrout et de Chouchi, ce dernier éminemment symbolique ayant été lâché dans des circonstances obscures dans les dernières heures de la phase active du conflit. Au terme du cessez-le-feu, ils ont également dû abandonner les zones de sécurité d’Aghdam à l’est du pays et celle de Kelbadjar à l’ouest qui assurait la continuité territoriale avec l’Arménie. Ne restait alors comme connexion entre les deux États arméniens que le « corridor de Latchine » sous contrôle de forces russes de maintien de la paix nouvellement instaurée par l’accord de cessez-le-feu.


Parmi les dispositions du cessez-le-feu, il est en deux qui ont joué un grand rôle dans les évènements qui ont suivi. Les points n°8 et n°9 de l’accord stipulent en effet que « toutes les liaisons économiques et de transport de la région seront restaurées. La République d’Arménie garantit la sécurité des liaisons de transport entre les régions orientales de la République d’Azerbaïdjan et la République autonome du Nakhitchevan afin d’organiser la libre circulation des citoyens, des véhicules et des marchandises dans les deux sens. Le contrôle des transports sera exercé par les gardes-frontières du Service fédéral de sécurité de Russie » et que « par accord des parties, la construction de nouvelles communications de transport reliant la République autonome du Nakhitchevan et les régions occidentales de l’Azerbaïdjan sera assurée ».


Les conséquences de la guerre

Avec 44 jours de combats intenses, 7 districts perdus ou cédés, 3 900 morts et 11 000 blessés côté arménien, plus de 200 prisonniers de guerre et détenus civils arméniens en otage, plus de 100 personnes disparues ou enlevées et plus de 7 600 bâtiments et 3 200 infrastructures détruits, cette guerre qui s’est conclue par une large défaite militaire et politique de l’Arménie reste lourde de conséquences :

  1. Premièrement, même si la plupart des réfugiés sont revenus au pays, portant à nouveau sa population à quelque 120 000 personnes, ils doivent désormais vivre sur le territoire réduit de la zone libre du pays. Cette agression de l’Azerbaïdjan s’est en effet accompagnée de nombreux crimes de guerre et plus personne n’habite dans les zones occupées qui ont subi une véritable épuration ethnique : les rares civils restés sur place ainsi que les militaires prisonniers de guerre ont été exécutés ou emprisonnés à Bakou. Le patrimoine culturel arménien de la région – églises, cimetières, enfin tout ce qui matérialise l’inscription de la présence millénaire des Arméniens sur ces terres – a été détruit le plus souvent, ou dénaturé de façon à lui ôter tout caractère arménien.

  2. Deuxièmement, cette fragilisation de la population de l’Artsakh est renforcée par des conditions socioéconomiques dégradées par la guerre avec, depuis lors, une production agricole en baisse de 75%, une production industrielle en baisse de 70%, une activité de commerce et de service en baisse de 87% et une activité de BTP en baisse de 77%. Les logements manquent, les infrastructures civiles sont encore plus sous-dimensionnées qu’auparavant avec par exemple des hôpitaux submergés par les blessés de guerre civils ou militaires, des surfaces agraires restreintes et surtout une ressource en énergie et en eau potable fortement diminuée : les sources d’eau, barrages et installations hydroélectriques étant désormais pour la plupart sous contrôle azerbaïdjanais. Il faut noter que le gouvernement artsakhiote a lancé de vigoureuses politiques sociales et immobilières pour soutenir ceux qui ont tout perdu. Mille logements ont été construits ou réhabilités depuis la guerre et le gouvernement prévoit d’en mettre 3 500 autres à disposition d’ici 2025 pour quelque 15 000 personnes revenues en Artsakh, mais encore dépourvues de logement et pour les 22 000 Artsakhiotes qui restent réfugiés en Arménie dans l’attente d’un logement pour leur retour.

  3. Troisièmement, la République autodéterminée du Karabagh, sur le territoire qu’elle contrôle encore, ne peut plus vraiment compter sur l’Arménie pour sa sécurité et dépend désormais exclusivement de la présence et de la bonne volonté russes. L’Arménie, désormais centrée sur sa propre sécurité, a en effet déclaré que le sort des Arméniens du Karabagh était maintenant une affaire intérieure de l’Azerbaïdjan, mais que celui-ci devait respecter les droits sociopolitiques des Artsakhiotes ; un vœu pieux vu le respect accordé par cette dictature aux droits de ses propres citoyens. Du reste, tout au long de 2021 et 2022, l’Azerbaïdjan a violé l’accord de cessez-le-feu en multipliant les incursions temporaires ou permanentes en zone libre, mais aussi en assassinant des civils victimes de tireurs d’élite, généralement des agriculteurs ou des techniciens venus réparer des systèmes d’irrigation ou d’assainissement, empêchant ainsi toute reprise de vie normale sans que cela n’émeuve outre mesure les forces russes de maintien de la paix. Du surcroit, au terme de l’accord de cessez-le-feu, les Russes sont présents pour cinq ans et le renouvellement de leur présence est théoriquement soumis à l’accord des parties, donc en particulier à celui de l’Azerbaïdjan. Qu’adviendra-t-il au-delà ? Nul ne le sait.


La question de la route Sud

Il est cependant un point sur lequel l’Arménie n’a pas encore capitulé et c’est probablement ce point qui lui vaut l’actuelle aggravation de ses ennuis : celui de la route Sud censée assurer – sous contrôle russe – la liberté de circulation entre l’Azerbaïdjan sa colonie occidentale du Nakhitchevan. Pour Moscou, cette route et surtout le contrôle que la Russie devrait exercer sur elle, doit lui permettre de parachever sa mainmise sur l’ensemble du Sud-Caucase. Ce qu’il faut bien comprendre, c’est que cette route n’a pas pour objectif de renforcer le contrôle de Moscou sur l’Arménie, car celui-ci est déjà presque total. Il a pour objectif de renforcer son contrôle sur l’Azerbaïdjan qui jouit encore d’une certaine marge de manœuvre en raison de la politique d’équilibre qu’il joue entre Moscou et Ankara. Au terme de la guerre des 44 jours, Moscou a déjà réussi à réimplanter en Azerbaïdjan une base militaire à Aghdam – théoriquement pour contrôler l’accord de cessez-le-feu – en ce qui est une première depuis la fin de l’URSS.

Si Erevan refuse de céder, c’est je le crois parce que Bakou interprète de manière abusive les points 8 et 9 de l’accord de cessez-le-feu comme équivalant à un transfert de souveraineté, ce que ces points ne renferment absolument pas. Du reste, la victoire azerbaïdjanaise de 2020 n’a pas du tout calmé les ardeurs expansionnistes d’Aliev qui a progressivement revendiqué tous le sud de l’Arménie, ses contreforts est et maintenant sa capitale Erevan elle-même, c’est-à-dire peu ou prou toute l’Arménie. D’ailleurs, tout au long des années 2021 et 2022, l’Azerbaïdjan n’a cessé de lancer des opérations militaires au terme desquelles il empiète sur des fractions croissantes du territoire arménien proprement dit pour atteindre désormais une superficie allant – selon les experts – de 40 à 120 km2.


Renversement des alliances

La situation a révélé combien l’Arménie est isolée et combien sa situation est critique. D’une part, l’Organisation du Traité de Sécurité Collective s’est montrée sourde aux appels à l’aide de l’Arménie face aux incursions azerbaïdjanaises. La sécurité de l’Arménie est en fait une variable d’ajustement pour Moscou qui joue cette carte au gré de ses intérêts propres dans un contexte bien plus large incorporant ses relations avec la Turquie, la guerre en Ukraine ou son opposition avec l’Occident. Il est par exemple tout à fait notable que, le 22 février 2022, soit deux jours avant le déclenchement de la guerre en Ukraine, l’Azerbaïdjan ait signé une alliance stratégique avec la Russie. Comportant 43 points, cette alliance fonde une véritable architecture politique de sécurité commune entre Bakou et Moscou qui concrétise le retournement d’alliance russe dans la région. Le prestige et la popularité de Poutine et de l’État russe en Arménie sont d’ailleurs désormais au plus bas et des manifestations contre Poutine et la guerre en Ukraine sont apparues en Arménie.

Mais d’autre part, les Occidentaux ont été totalement écartés de la scène politique régionale au profit des seules tractations russo-turques. Si la France et les États-Unis essaient de revenir dans le jeu en ressuscitant un groupe de Minsk dont ni Moscou ni Bakou ne veulent désormais, leur soutien à l’Arménie reste essentiellement moral ou déclaratoire, voire incantatoire. En France, ni les innombrables motions de collectivités locales ou territoriales ni mêmes les résolutions remarquables du Sénat et de l’Assemblée nationale appelant à la reconnaissance de la République d’Artsakh, à des sanctions des dignitaires azerbaïdjanais, à la saisine de la Cour pénale internationale, à un soutien logistique ou militaire à l’Arménie ou à la mise en place de structures humanitaires pour l’Artsakh ne se sont pas traduites par des initiatives concrètes de l’Exécutif.

Au niveau européen, c’est bien pire puisque – obnubilée par les sanctions russes – la Commission européenne a signé un partenariat avec l’Azerbaïdjan visant à augmenter les importations de gaz azerbaïdjanais. Il faut souligner combien cette initiative européenne, en plus de ruiner la crédibilité morale de l’Union, – la Présidente Von der Leyen allant jusqu’à qualifier l’Azerbaïdjan de « partenaire fiable » – constitue une faute même en termes de RealPolitik puisqu’on sait désormais que l’essentiel du gaz en provenance d’Azerbaïdjan est compensé par du gaz russe pour la consommation locale s’il n’est pas lui-même constitué de gaz russe.


Blocus de l’Artsakh

L’absence de réactions concrètes de l’Occident et le soutien tacite de la Russie ont récemment conduit l’Azerbaïdjan à tenter de pousser son avantage. Depuis le 12 décembre 2022, de prétendus « activistes écologistes » bloquent l’unique route – théoriquement sous contrôle russe – reliant l’Artsakh à l’Arménie, sous prétexte des dommages environnementaux qui seraient causés par l’exploitation minière en Artsakh. Si ce n’était tragique, cela ferait doublement sourire quand on connaît les désastres environnementaux provoqués par l’exploitation d’hydrocarbures en Azerbaïdjan et la répression que subissent les véritables activistes, écologistes ou pas, dans ce pays. En fait ces prétendus activistes sont des fonctionnaires de différents ministères azerbaïdjanais, voire des membres des forces armées. D’ailleurs, à partir du 9 janvier, Bakou a décidé de jeter le masque et les prétendus « activistes écologistes » ont cédé la place à des militaires azerbaïdjanais en armes.

Sous couvert de tractations, les forces russes locales laissent faire, certainement dans l’objectif de faire plier l’Arménie sur le corridor Sud précédemment évoqué. Rien ne se passe donc si ce n’est que les Artsakhiotes qui dépendent de l’Arménie bien plus largement qu’avant la guerre des 44 jours sont désormais totalement isolés, privés d’approvisionnement et désormais menacés de famine. Les appels des autorités artsakhiotes, mais aussi de l’Arménie en faveur de l’établissement d’un pont aérien par l’Occident sont restés lettre morte.

En fait les Arméniens sont pris au piège : si l’Arménie n’intervient pas, les Artsakhiotes vont mourir de faim. Si elle intervient, l’Azerbaïdjan prendra ce prétexte pour relancer des opérations militaires contre lesquels Erevan restera impuissant.

Dans ce contexte d’isolement critique, où c’est désormais une vraie menace génocidaire qui plane sur les 120 000 Artsakhiotes, Erevan a activé ou a suscité des instruments de Droit international.

Le 30 août 2022 par exemple, avant même le blocus, le Comité de l’ONU pour l’Élimination de la Discrimination Raciale a rendu un rapport très critique quant à la politique raciste de l’Azerbaïdjan envers les Arméniens – « musée des trophées » qui s’apparentait à l’exposition nazie du Juif éternel, destruction du patrimoine religieux, brutalisation et torture des prisonniers de guerre, etc.

Le 15 septembre, la France a évoqué la question de l’Artsakh devant le Conseil de Sécurité de l’ONU, mais l’opposition de la Russie et semble-t-il du Royaume-Uni intéressé par l’exploitation minière de l’Artsakh n’ont pas permis d’aboutir à une résolution.

Le 22 décembre, se fondant sur la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale, l’Arménie a demandé à la Cour Internationale de Justice de prendre des mesures conservatoires visant à ce que « l’Azerbaïdjan cesse d’organiser et de soutenir les prétendues « protestations » qui empêchent la circulation libre et ininterrompue le long du corridor de Latchine dans les deux sens ».

Enfin le 29 décembre, Erevan a annoncé avoir entamé le processus d’adhésion à la Cour Pénale Internationale, officiellement en raison « de l’agression militaire de grande envergure menée par les forces armées de l’Azerbaïdjan contre le territoire souverain de la République d’Arménie », mais certainement aussi en raison du risque génocidaire actuellement enduré par les Artsakhiotes.


En guise de conclusion

Ce qui est étonnant, c’est que la situation socioéconomique de l’Arménie reste satisfaisante dans ce contexte sécuritaire plus que dégradé. Si l’on en croit les chiffres, mais également les témoignages locaux, la santé économique et sociale du pays est plutôt bonne et le pays vit même une surchauffe provoquée en partie par l’afflux de Russes fuyant la conscription dans leur pays ou tout simplement à la recherche d’un environnement plus libéral. Les entreprises – notamment les startups technologiques – se multiplient et le pays vit même une crise immobilière due à l’afflux russe. La banque mondiale mise sur une croissance de 7% en 2022, 4,3% en 2023 et 5,2% en 2024. Les réserves en devises étrangères ont augmenté de 20% et, depuis un an, la monnaie nationale s’est appréciée de 30% par rapport à l’euro, 22% par rapport au dollar. Les investissements directs russes, mais aussi allemands ou italiens – et malheureusement assez peu français – sont également à la hausse.

Il est surtout surprenant que la défaite militaire, les menaces azerbaïdjanaises n’aient pas conduit – jusqu’à présent – à un virage autoritaire du régime ni à son renversement par des forces d’opposition qui auraient sans doute la faveur de Moscou. Il n’en reste pas moins que si l’Arménie n’avait initialement pas dérogé à son alliance russe, la Russie a pour sa part largement abandonné son allié arménien, sans doute par ressentiment envers un pays désormais pro-occidental, mais sans doute aussi en raison de ses difficultés en Ukraine et surtout de son incapacité à contenir la poussée militaro-politique turco-azerbaïdjanaise.

Dans ce contexte, les Occidentaux seraient bien avisés de soutenir le dernier ilot régional de démocratie s’ils veulent garder une certaine crédibilité politique, que ce soit au regard de leurs principes comme au regard du véritable génocide qui pèse sur les artsakhiotes, mais aussi s’ils veulent éviter un condominium régional de deux puissances autoritaires – la Russie et la Turquie – qui les menacent déjà sur d’autres théâtres régionaux.

 

(c) 2023, Conflits revue de Géopolitique

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