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Génocide au Rwanda: le général Jean Varret a tenté d'alerter le pouvoir mitterrandien «en vain»

On reparle du rôle que la France a joué au Rwanda avant le génocide, avec un livre d'entretiens qui a valeur de témoignage. Le général Jean Varret a occupé les fonctions de chef de la Mission militaire de coopération au Rwanda d’octobre 1990 à avril 1993. Il a tenté d'alerter le pouvoir mitterrandien sur les risques de massacres qui se dessinaient et de ralentir la coopération avec les futurs génocidaires, mais il n'a pas été entendu. L'ouvrage est intitulé « Souviens-toi ». Il a été réalisé par le journaliste français Laurent Larcher qui répond aux questions de Laurent Correau.


Le général Jean Varret a occupé les fonctions de chef de la Mission militaire de coopération au Rwanda d’octobre 1990 à avril 1993.© Capture d'écran/Youtube.com


RFI : Que nous apprend le témoignage du général Jean Varret sur les circuits de décision en France concernant le dossier rwandais, au début des années 1990 ?

Laurent Larcher : Peut-être deux choses. La première : le pouvoir excessif, semble-t-il, du président qui s’entoure d’un exécutif totalement au service de sa propre vision, sans équilibre. À cela s’ajoute la constitution d’une hiérarchie parallèle qui vient de la tête de l’État, donc du président essentiellement, et de son chef d’état-major des armées particulier, avec qui ils vont décider de la politique à conduire au Rwanda, sous les radars des institutions françaises.


Il y a dans ce livre de témoignages une scène terrible, dont il dit lui-même qu’elle est restée gravée dans sa mémoire. J’en rappelle brièvement le contexte : le 22 janvier 1991, le Front patriotique rwandais (FPR) a lancé une attaque sur Ruhengeri. Jean Varret vient au Rwanda et il participe à une réunion lors de laquelle le chef d’état-major de la gendarmerie, le colonel Rwagafilita, lui demande des armes, tout un arsenal d’armes…

Oui, cette scène est saisissante. Le général Varret a en face de lui le chef d’état-major de la gendarmerie qui lui demande effectivement des armes. Mais des armes, c’est-à-dire ? Des munitions, des armes lourdes, mais aussi plus de militaires… Au fond, plus de soutien. Or, le soutien à cette époque-là est déjà important, pour le général Varret. Le dossier rwandais est l’un des dossiers les plus investis par la France déjà en 1990, du moins du point de vue de la coopération militaire. Donc, il est très étonné de cette demande, il trouve que ce qui est déjà apporté est totalement suffisant.


Varret, Rwagafilita ne parviennent donc pas à se mettre d’accord. La réunion est levée, mais la discussion se poursuit, et cette fois-ci en tête-à-tête…

Oui, le chef d’état-major de la gendarmerie rwandaise lui dit ceci : « Nous sommes entre officiers, je vais vous parler en confiance et sans détours. La gendarmerie va rejoindre l’armée pour résoudre le problème. » Alors Jean Varret lui dit : « Ah bon, mais quel problème ? » Le chef d’état-major de l’armée rwandaise lui répond : « Nous avons besoin de ces armes pour liquider tous les Tutsis. Les femmes, les enfants, les vieillards, dans tout le pays. Et vous savez, ce ne sera pas long car ils sont peu nombreux. »

C’est mot pour mot ce qu’il vous a déclaré dans ce livre d’entretiens. Il est évidemment bouleversé après cette discussion…


Il est sidéré par ce qu’il entend, bouleversé par ce qu’il pressent.

Et à ce moment-là, il va voir son correspondant français au Rwanda, le colonel Galinié, qui lui dit sa conviction. Effectivement, le clan autour d’Agathe Habyarimana, l’épouse du président, s’apprête à commettre, dit Galinié, des massacres d’envergure. Il confirme donc ce qui est l’intuition de Jean Varret…


Oui, Jean Varret lui dit : « Mais pourquoi vous ne me l’avez pas dit ? » et Galinié lui répond : « Mais vous ne m’auriez pas cru. Je vous ai laissé dans cet entretien pour que vous puissiez par vous-même entendre ce que les autorités rwandaises avaient à vous dire, et surtout, le plan qu’elles préparaient. »

Jean Varret explique qu’il rédige un télégramme secret défense qui va rendre compte de cet entretien. Il prévient donc Paris…


Il prévient l’ambassadeur de France, qui semble ne pas prendre la mesure de ce qu’il entend. Il demande à rencontrer le président Habyarimana pour lui dire : mais enfin, qu’est-ce qu’il se passe ? Le président Habyarimana le reçoit chez lui et lui dit : « Quel con, il vous a dit ça ? » et l’entretien se finit là-dessus.


Ce qui est très ambigu finalement…

Lui pense au début qu’il allait renvoyer son chef d’état-major de la gendarmerie, ce qui ne sera jamais fait. Et ensuite, il fait un télégramme qui rend compte de sa discussion avec le chef d’état-major de la gendarmerie rwandaise, et il alerte Paris de ce vers quoi le gouvernement rwandais se dirige avec le soutien et l’aide de la France.


Jean Varret a alerté sur les risques de massacres de grande ampleur. Il vous explique qu’il s’oppose, ayant conscience de cela, lors des réunions de cellules de crise, à tout développement de la coopération avec le pouvoir rwandais. Mais face à lui, il y a cette demande insistante d’accentuer la coopération…


Oui, il se heurte à un mur. Tous ses interlocuteurs à Paris ne veulent pas l’entendre sur ce dossier-là. Autant il est très entendu sur d’autres dossiers - on est aussi dans la période où il y a des problèmes au Tchad, où la France est très engagée auprès d’Idriss Déby - là les recommandations que Jean Varret fait à ces réunions sont prises en compte. En revanche, pour le dossier rwandais, il a l’impression que ses interlocuteurs, surtout les politiques, ne prennent pas la mesure de ce qu’il est en train de dire. Ses propos contrarient la vision que l’Élysée, le ministère de la Défense, le ministère de la Coopération, le Quai d’Orsay ont du Rwanda, de sorte que les gens ne veulent pas l’entendre.


Comment expliquer que ces différentes alertes n’aient pas été entendues ? Comment est-ce qu’il l’explique lui-même ?

Il y a ceux qui veulent répondre à la demande du président et du noyau qui est autour de lui. Hannah Arendt le dit très bien dans ses écrits, notamment sur la politique américaine au Vietnam : quand les faits contredisent la vision, c’est toujours la vision qui l’emporte sur les faits, et on débouche sur des catastrophes. Il y a peut-être aussi l’aveuglement anti-américain. C’est-à-dire que pour l’Élysée, les États-Unis travaillent à affaiblir la France en Afrique en poussant des mouvements qui sont contraires aux intérêts de la France. Le Rwanda s’inscrit exactement dans cette perspective. Dans l’esprit de François Mitterrand et de son entourage, derrière le FPR, derrière Paul Kagame, il y a Washington qui pousse un pion – Kagame – pour chasser la France du Rwanda, de cette zone anglophone.


 

(c) 2023, RFI

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