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Génocide au Rwanda : le souvenir du massacre de l’église de Nyange hante encore ses habitants

Arrêté en Afrique du Sud, Fulgence Kayishema est accusé d’avoir planifié avec d’autres l’assassinat, le 15 avril 1994, de près de 2 000 Tutsi réfugiés dans l’édifice.


La liste des noms des presque 2 000 Tutsi assassinés dans l’église de Nyange, dans l’ouest du Rwanda, le 15 avril 1994. LUCIE MOUILLAUD


« Sa maison n’a presque pas changé. Il habitait juste ici, à quelques dizaines de mètres de chez moi, on se connaissait bien », explique Aloys Rwamasirabo, en passant le portail bleu entrouvert de la maison de Fulgence Kayishema, dans le village de Nyange, dans l’ouest du Rwanda.

La large résidence aux couleurs claires et aux fondations en briques, surplombant les collines de l’ancienne commune de Kivumu, dans le district de Ngororero, est désormais habitée par une nouvelle famille. De son ancien voisin, arrêté mercredi 24 mai dans une ferme viticole de Paarl, en Afrique du Sud, après plus de vingt-deux ans de cavale, Aloys Rwamasirabo, commerçant de 67 ans rescapé du génocide, se souvient d’un homme orgueilleux, enseignant dans une école du village avant d’être nommé inspecteur de police judiciaire en 1990.


« Il s’était donné l’image de quelqu’un d’intouchable, mais finalement il a été retrouvé. Ça ne ramènera pas à la vie nos proches qui sont morts, mais ça nous soulage », lâche-t-il. A Nyange, le nom de Fulgence Kayishema, natif de la commune, est connu de tous. Poursuivi pour génocide depuis 2001 par le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR), il est accusé d’avoir participé à l’élaboration du plan qui a mené au massacre, le 15 avril 1994, de près de 2 000 Tutsi réfugiés dans l’église du village.


« Ça n’allait pas assez vite »

« Il a amené de l’essence pour mettre le feu au bâtiment, mais ça n’allait pas assez vite, donc ils ont cherché un bulldozer pour détruire le toit qui est tombé sur les réfugiés, et les quelques survivants ont été tués quand ils ont essayé de sortir des décombres », liste Serge Brammertz, procureur du Mécanisme international appelé à exercer les fonctions résiduelles des tribunaux pénaux (IRMCT), chargé des derniers dossiers du TPIR dissous en 2015.


« Je me suis rendu dans l’église le 13 avril dans la soirée, les prêtres avaient dit qu’il n’y avait pas de problème, se remémore Aloys Rwamasirabo. Mais le matin, on voulait nous attaquer, et j’ai réussi à partir. » Deux jours plus tard, huit membres de sa famille, dont cinq de ses enfants, toujours bloqués à l’intérieur, ont perdu la vie dans ce massacre pour lequel trois responsables locaux, dont le bourgmestre de Kivumu, Grégoire Ndahimana, et le prêtre, Athanase Seromba, ont déjà été condamnés par le TPIR à Arusha, en Tanzanie, respectivement à vingt-cinq ans de réclusion criminelle et à la perpétuité.



Placé en détention provisoire dans une prison de haute sécurité au Cap après une première audience vendredi, Fulgence Kayishema, apparu une bible à la main, a démenti son implication dans le génocide, en réponse à une question d’un journaliste à son entrée dans le tribunal.


A Nyange, un mémorial a été inauguré en 2018 sur le site de l’ancienne église. A droite du portail, des fondations en pierre, quelques briques et de la ferraille rongée par la rouille sont entreposées sous un hangar. « Ce sont les restes du bâtiment qui a été détruit par le bulldozer », raconte Innocent Kamanzi, vice-président pour le district de Ngororero d’Ibuka (« souviens-toi » en kinyarwanda), l’association des rescapés du génocide contre les Tutsi en 1994 qui avait fait 800 000 morts dans le pays selon l’ONU.

Derrière le monument de recueillement qui abrite, dans son sous-sol, les corps de près de 7 800 personnes, une nouvelle église en briques flambant neuve se dresse. « Au début, elle devait être construite sur le même site que l’ancienne, à la place où nous avons maintenant établi le mémorial, mais les rescapés se sont battus pour qu’elle soit déplacée. Ils voulaient garder des traces du massacre, pour qu’il ne soit pas oublié », ajoute le responsable associatif.



Fulgence Kayishema au tribunal de première instance du Cap (Afrique du Sud), le 26 mai 2023. RODGER BOSCH / AFP


Dix-sept membres de sa famille, dont son père et ses frères et sœurs, sont morts pendant la tuerie. Leurs photos sont déposées devant les panneaux où sont listés les noms de toutes les victimes. « On ne s’attendait plus à ce que Fulgence Kayishema soit arrêté, s’étonne encore Innocent Kamanzi. J’espère qu’il y aura enfin une justice. »


« Peut-être le dernier fugitif »

L’enquête destinée à retrouver le fugitif était devenue la priorité du Mécanisme après l’arrestation en 2020 en banlieue parisienne de Félicien Kabuga, le « financier » présumé du génocide, et la clôture en 2022 du dossier de Protais Mpiranya, à la suite de tests ADN sur une dépouille enterrée en 2006 qui ont confirmé la mort au Zimbabwe de cet ancien chef de la garde présidentielle, accusé notamment d’avoir ordonné l’assassinat de la première ministre de l’époque, Agathe Uwilingiyimana.


« Fulgence Kayishema est peut-être le dernier fugitif arrêté par le Mécanisme », note Serge Brammertz. Sur les trois que nous recherchons toujours, nous avons des raisons de penser qu’au moins deux sont déjà morts », poursuit-il. La prochaine comparution de l’accusé au tribunal du Cap est prévue le 2 juin. « Le mandat d’arrêt prévoit qu’il soit transféré chez nous, à Arusha, avant d’être transféré à Kigali », note le procureur des Nations unies.


Le mémorial édifié sur le site de l’ancienne église de Nyange, à côté de la nouvelle église, en souvenir des près de 2 000 Tutsi assassinés le 15 avril 1994. LUCIE MOUILLAUD


Pour Innocent Kamanzi, la tenue d’un procès dans la capitale serait une grande importance pour les victimes. « Si je peux, je vais sans aucun doute me rendre aux audiences », assure-t-il. « Qu’est-ce que je pourrais lui dire ?, se questionne Aloys Rwamasirabo. Peut-être que la seule chose que je peux souhaiter, c’est qu’il revienne pour qu’il voit ce qu’il a fait dans cette église, et ce que ce lieu est devenu. »

 

(c) 2023, Le Monde

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