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Crimes de guerre ou contre l’humanité : la Cour de cassation consacre la compétence universelle de l

Crimes de guerre ou contre l’humanité : la Cour de cassation consacre la compétence universelle de la France


Elle était saisie dans deux affaires concernant des ressortissants syriens, soupçonnées de crimes de guerre et de torture. Leurs avocats faisaient valoir que la Syrie ne reconnaît pas ces crimes.


La Cour de cassation était saisie de deux affaires concernant des ressortissants syriens. FRED DE NOYELLE/GODONG/PHOTONONSTOP


Des étrangers pourront-ils encore être poursuivis en France pour des crimes contre l’humanité, des actes de torture ou des crimes de guerre perpétrés ailleurs dans le monde sur d’autres étrangers ? Telle est la question, cruciale, à laquelle devait répondre vendredi 12 mai la plus haute juridiction de l’ordre judiciaire.


Saisie dans deux affaires concernant des ressortissants syriens, la Cour de cassation a confirmé la compétence universelle de la justice française pour juger de tels actes.


Cette décision était particulièrement attendue, en premier lieu par les magistrats du pôle de lutte contre les crimes contre l’humanité du tribunal judiciaire de Paris, actuellement chargé d’environ cent soixante procédures. Un certain nombre d’entre elles étaient menacées si la justice française avait été déclarée incompétente.


La crainte d’un séisme pour le monde judiciaire

En novembre 2021, la Cour de cassation, saisie du dossier d’Abdulhamid Chaban, avait estimé que la justice française était incompétente dans cette affaire, invoquant le principe de la double incrimination, prévu dans la loi du 9 août 2010 : les crimes contre l’humanité et crimes de guerre doivent être reconnus dans le pays d’origine d’un suspect que la France entend poursuivre. Or la Syrie ne reconnaît pas ces crimes et n’a pas ratifié le statut de Rome, qui a créé la Cour pénale internationale.


La cour d’appel avait tout d’abord débouté le ressortissant syrien, qui, par la suite, a formé un pourvoi. La chambre criminelle de la Cour de cassation, qui considérait que la justice française n’était pas compétente, avait cassé la décision de la cour d’appel.


Cet arrêt avait provoqué un séisme dans le monde judiciaire et des organisations de défense des droits humains. La Fédération internationale pour les droits humains (FIDH), partie civile, avait fait opposition pour un motif procédural, permettant le retour de l’affaire devant la Cour de cassation.


Crimes de guerre

Dans le cas de Majdi Nema, ancien porte-parole du groupe rebelle Jaych Al-Islam (Armée de l’Islam), arrêté en janvier 2020 à Marseille, où il effectuait un séjour d’études, la cour d’appel de Paris a maintenu sa mise en examen en avril 2022, estimant que la loi syrienne prévoyait « par équivalence » plusieurs crimes et délits de guerre définis dans le code pénal français.



La Cour de cassation a suivi vendredi cette position, revenant donc sur celle précédemment adoptée dans le cas Chaban. « Pour qu’il y ait double incrimination, il n’est pas nécessaire que les faits relevant en France des infractions de crime contre l’humanité ou de crime de guerre soient qualifiés de manière identique par les lois du pays étranger », a-t-elle tranché vendredi.


Il suffit « que la législation étrangère punisse ces actes comme infraction de droit commun, tels le meurtre, le viol ou la torture ». Les deux pourvois ont donc été rejetés, permettant aux deux informations judiciaires de se poursuivre.


La défense de Majdi Nema avait par ailleurs estimé que le critère de « résidence habituelle », autre verrou à la compétence universelle imposé par la loi, n’était pas rempli, faisant valoir qu’il avait été arrêté en France alors qu’il ne s’y trouvait que pour un séjour d’études. Selon la Cour de cassation, les juges ont, à la lumière des éléments du dossier, conclu à une « stabilité certaine de résidence durant une période de plus de trois mois », ce qui remplit de fait le critère.


Un appel à changer la loi

« La Cour de cassation a démontré qu’elle était devenue une officine politique et du parquet au mépris du principe de séparation des pouvoirs », ont fustigé les avocats d’Abdulhamid Chaban, Pierre Darkanian et Margaux Durand-Poincloux. Pour eux, cette interprétation « n’a d’autre but que de sauver des enquêtes déjà en cours ».


Cette décision est « politique » également pour Romain Ruiz et Raphaël Kempf, conseils de Majdi Nema, qui n’y voient « rien de plus que de la poudre aux yeux » et « une nouvelle forme de mépris pour les droits de la défense ». « La France essaie une nouvelle fois de faire croire qu’elle a un quelconque moyen d’enquête sur des territoires en guerre, ce qui est évidemment faux », ont-ils ajouté.


Au contraire, la FIDH, le Centre syrien pour les médias et la liberté d’expression et la Ligue des droits de l’homme (LDH) ont salué dans un communiqué « une victoire décisive pour toutes les victimes de crimes internationaux ». Clémence Bectarte, avocate de la FIDH et des parties civiles, a toutefois pointé les « insuffisances de la loi sur la compétence universelle », actuellement conditionnée à des critères contraignants, et appelé à la changer.


 

(c) 2023, Le Monde

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