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Le droit humanitaire est-il mort à Gaza?

OPINION. En tant qu’Etats parties aux Conventions de Genève, les Etats européens sont tenus de poursuivre leurs violations devant leurs tribunaux. L’histoire les jugera sévèrement, écrit Vincent Chetail, professeur de droit international au Graduate Institute


Une frappe israélienne contre un restaurant a tué au moins 29 personnes ce 7 mai. Gaza City. (Photo: Jehad Alshrafi | keystone-sda.ch)
Une frappe israélienne contre un restaurant a tué au moins 29 personnes ce 7 mai. Gaza City. (Photo: Jehad Alshrafi | keystone-sda.ch)

Les débats qui viennent d’avoir lieu devant la Cour internationale de Justice (CIJ) sur les obligations humanitaires d’Israël imposent de s’interroger sur le rôle et la pertinence du droit international humanitaire. Les chiffres donnent le vertige: l’attaque du 7 octobre 2023 serait le plus vaste massacre de Juifs perpétré en une journée depuis l’Holocauste, tandis que les pertes palestiniennes n’en finissent pas de croître avec plus de 50 000 morts et de 115 000 blessés.


Les acteurs de terrain sont désabusés devant cette hécatombe et la situation apocalyptique qui prévaut dans la bande de Gaza. Selon le président de Médecins du monde, Jean-François Corty, le droit humanitaire est «à un point de bascule qui relèvera des soins palliatifs et d’une mort certaine si l’humanité ne réagit pas à temps». Pour d’autres, il est déjà trop tard: «Le droit humanitaire est mort et enterré à Gaza», regrette Elsa Softic responsable d’une ONG présente à Gaza depuis 2008.


Sur le papier, le droit humanitaire est solidement ancré dans des principes coutumiers réaffirmés par divers traités. Les Conventions de Genève sont universellement ratifiées, y compris par Israël et la Palestine, qui ne contestent pas leur application au conflit en cours.


Un droit humanitaire qui s’applique uniformément aux deux parties

Le droit humanitaire présente trois caractéristiques essentielles. D’une part, les lois et coutumes de la guerre s’imposent à tout belligérant, indépendamment de sa légitimité et ses buts. Comme l’a rappelé Antonio Guterres, secrétaire général des Nations unies, «le droit international humanitaire n’est pas un menu à la carte à appliquer de manière sélective». Il s’applique aux deux parties, nonobstant le droit d’Israël à la légitime défense et le droit à l’autodétermination de la Palestine.


D’autre part, le droit humanitaire repose sur des principes incontestés et incontestables, aux premiers rangs desquels figurent la distinction entre civils et combattants, l’obligation de proportionnalité et de précaution dans l’attaque. Leur légitimité n’étant pas sujette à discussion, la question porte sur l’interprétation et la mise en œuvre des règles applicables à une attaque donnée. La rationalité froide du droit de la guerre entend ainsi dépassionner les débats.


Enfin, les violations de l’un des belligérants ne justifient pas les violations de l’autre, ni les représailles contre les civils.


Si le droit humanitaire conserve sa pertinence, il faut bien constater que les deux parties ont commis des crimes de guerre caractérisés, à commencer par le Hamas, via ses attaques contre les civils israéliens, les prises d’otages et l’emploi de boucliers humains. S’agissant de l’armée israélienne, l’ampleur sans précédent des destructions et des pertes civiles à Gaza va bien au-delà de ce qui est admis comme «dommage collatéral» en milieu urbain. Selon diverses sources journalistiques et onusiennes, Tsahal a assoupli ses critères de détermination des cibles en augmentant le ratio des victimes civiles et combattantes tout en recourant à l’intelligence artificielle.


L’ONU a constaté des violations graves, telles que des bombardements indiscriminés dans des zones d’habitation et des attaques ciblées contre les hôpitaux et le personnel de santé. Pour donner un ordre de grandeur, durant le premier mois de l’offensive israélienne, l’équivalent de deux bombes nucléaires a été déversé dans la bande de Gaza, l’une des zones les plus densément peuplées au monde.


La famine comme arme de guerre, proscrite par le droit humanitaire

A l’inverse, le siège de Gaza n’est pas formellement proscrit par le droit humanitaire. Néanmoins, les conséquences du blocus deviennent illégales, lorsque la famine est utilisée comme méthode de guerre et que l’aide humanitaire fait l’objet d’obstructions. Ce sont précisément pour ces deux motifs et les attaques indiscriminées que la Cour pénale internationale (CPI) a émis un mandat d’arrêt à l’encontre de Benyamin Netanyahou et son ministre de la Défense. Israël a également manqué à ses obligations de puissance occupante en déplaçant la population civile et en la privant des biens de première nécessité.


Même le CICR, d’ordinaire peu loquace et très prudent, est sorti de sa réserve coutumière pour dénoncer les manquements aux Conventions de Genève. Les représailles israéliennes s’apparentent à une punition collective à l’encontre des 2 millions de civils affamés dans l’enclave de Gaza. Ce châtiment collectif témoigne de la résurgence de l’antique loi du talion dans une sorte de surenchère mortifère.


Cette guerre n’est assurément pas la première à s’accompagner de violations aussi flagrantes. Des atrocités sont actuellement commises dans d’autres régions du monde beaucoup moins médiatisées, comme au Soudan ou en Ethiopie. Mais c’est précisément parce que les violations sont les plus visibles à Gaza qu’elles interpellent le droit humanitaire dans sa capacité à régir les conflits armés.


Une guerre documentée en temps réel

Contrairement à bien d’autres guerres, celle-ci est documentée quasiment en temps réel par l’ONU et les ONG. Ce conflit est même judiciarisé au plus haut niveau, impliquant les deux Cours de La Haye: la CIJ pour génocide et la CPI pour crime contre l’humanité et crimes de guerre. Personne ne pourra dire qu’il ne savait pas.


Et pourtant, les dirigeants européens sont comme paralysés par l’atrocité de l’attaque du Hamas, la polarisation outrancière du conflit et la crainte d’accusations d’antisémitisme. Les pays européens ont une responsabilité historique à faire respecter le droit humanitaire. Ce n’est pas seulement un devoir élémentaire d’humanité, mais aussi une obligation juridique. En tant qu’Etats parties aux Conventions de Genève, ils sont tenus de poursuivre ces violations devant leurs tribunaux.


Si la justice est une question de temps, l’histoire jugera sévèrement les pays qui n’auront pas pris la mesure des enjeux qui se trament devant nos yeux. Gaza est devenu un cimetière à ciel ouvert et risque de devenir le linceul du droit humanitaire, si rien n’est fait rapidement.


(c) 2025, Le Temps

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